Une fois n’est pas coutume, cette année nous avons laissé nos bécanes au garage. Et choisi les airs, pour notre désormais traditionnelle escapade estivale en tête à tête. Le fait est que nous voulions profiter au maximum d’une destination enviée de longue date : l’Irlande. Aussi pour parcourir ce pays, une bagnole de location nous attendait au pied de l’avion. Une « RHD », of course, plus adaptée à l’obligation en vigueur sur place de rouler à gauche. Enfin, sur les routes qui le permettent… Car durant notre parcours, la largeur de la chaussée n’autorisait pas toujours de se croiser.
Nous avons rapidement fui vers Bray, pour une première soirée. Et pour, quelle aubaine, découvrir The Harbour Bar. Le temps de commander une stout et un fish & chips en terrasse, voilà que nous faisions connaissance avec de sympathiques locaux : Sarah, Bill & Mary. Et tandis qu’à l’extérieur nous dérouillions notre anglais, à l’intérieur : deux salles ; deux ambiances ! A gauche, un concert de musique traditionnelle ; à droite, un groupe de blues rock… Ce lieu, assemblage de bric et de broc ô combien convivial, nous aura plongés directement dans le bain ; et le bon !
« Sláinte ! »
Cependant le lendemain, nous quittions cette station balnéaire pour mettre le cap sur l’ouest. En passant d’abord par Glendalough (dans le parc national des « Wicklow Mountains »), son monastère dévasté par les Rosbifs au XIVème, ses lacs… Et puis Glenbarrow (dans le comté de Laois), sa forêt d’où jaillit un cours d’eau filant vers la mer Celtique, ses cascades… Notre escale à Mountrath ne nous aura pas laissé un souvenir impérissable. Tout juste en ai-je rapporté l’image de cette insolite devanture, celle de cette boucherie familiale mise ici en avant.
Ah, et une info tout de même : le rayon « Fresh Deli », chez Spar, propose de très bons sandwiches. Sachant que l’enseigne compte des centaines de supérettes éparpillées aux quatre coins de l’île, autant vous dire qu’on ne s’est pas embêté à préparer des pique-niques pour nos déjeuners. Au passage, une chose m’a frappé à plus d’un endroit : l’effectif visible des employé(e)s, et les écarts d’âge qu’ils pouvaient avoir. De fait leur taux de chômage est actuellement réputé assez bas. No idea, néanmoins, s’agissant de ce que cela induit pour les travailleurs… Passons.
« Half pints, one Guinness and one Hop House Thirteen, please. »
Globalement, le cœur du pays présente moins d’intérêt que la côte vers laquelle nous nous dirigions. Toutefois nos brèves pauses à Adare ou à Athlone, par exemple, nous ont permis d’apprécier la beauté d’un patrimoine certain. Et celle des pubs. Malheureusement, aucune des bières locales n’a su vraiment nous séduire… En revanche, contrairement à ce que prédisaient de mauvaises langues, nous avons très bien mangé presque chaque soir ! Et moi qui aime particulièrement la viande d’agneau, sur le plan culinaire je me suis senti parfaitement dans mon élément.
Où en étais-je ? Ah oui, nous roulions donc vers l’océan, pour y rejoindre une route mythique baptisée « Wild Atlantic Way ». Difficile, bien sûr, de la parcourir entièrement (2 500 km), de Malin Head (au nord) à Kinsale (au sud), en une poignée de jours seulement. A fortiori parce que nous avions prévu une excursion sur les « Aran Islands ». Aussi il a fallu faire des choix… Et en l’occurrence nous avons renoncé à la moitié la plus septentrionale : la « Giant’s Causeway » (en Irlande du Nord), le Donegal, et même le Connemara. Egalement au sublime « Ring of Kerry ». Partie remise ?
Quoi qu’il en soit, le circuit a commencé pour nous avec la péninsule de Dingle. Et quelle claque ! Ce tracé sinueux qui surplombe l’abîme, épouse le déchirement de falaises abruptes. Elles qui semblent disparaître sous les flots pour rejaillir plus loin, et prendre la forme d’un archipel hétérogène. Avec des éléments tout aussi acérés, et d’autres un peu plus dodus. Mais sans exception déserts, depuis les années 50, quand le gouvernement d’alors prit la décision d’évacuer la vingtaine d’autochtones qui s’accrochait encore à ces récifs, malgré des conditions de vie… rustiques, j’imagine.
Sur cette régionale qui serpente, chaque virage avec vue sur les lames mériterait d’être immortalisé. Cependant on ne peut systématiquement stationner, et puis il faut rester prudent ! Car derrière la petite butte de terre qui borde la chaussée, il y a parfois… Rien. Rien sinon le vide, vertigineux. Je ne vous cache pas que Béné a ressenti un patent effroi, lorsqu’elle s’en est aperçue au premier arrêt, tandis qu’elle venait de bondir sur le monticule en question pour prendre une photo. Moi-même, qui me suis pourtant contenté de passer la tête par-dessus, j’avoue avoir été impressionné.
« Euh, "Sauce Pauline", tu dis ? Je ne trouve pas sur Google… »
South Pole Inn ; en fait. Bah dites donc, moi qui craignais d’avoir un accent de feckin eejit… J’en suis maintenant convaincu ! Enfin. Le lendemain nous empruntions une autre régionale, celle qui part de « Doulinne » en direction de « Galewoué ». En clair, nous avons roulé des plombes durant avec sur notre gauche l’Atlantique Nord, et sur notre droite, devant, derrière, le décor d’un plateau karstique, le Burren. Une seconde gifle ? Assurément. Bien que l’attraction majeure se trouvait encore loin, au large de la ville portuaire qui devait nous accueillir pour la nuit.
Justement, il peut être tentant de veiller tard, dans la « City of the Tribes ». Tant les pubs accueillant des musiciens sont nombreux. D’ailleurs ce soir-là, rien qu’au 13 On The Green, pas moins de douze jouaient et chantaient ensemble ! Pour notre plus grand plaisir, cela va sans dire. Mais ce spectacle consommé, nous regagnions notre piaule, raisonnablement. Attendu que nous ne pouvions nous payer le luxe d’être à la bourre au petit matin. Pas question, en effet, de manquer l’embarquement sur le ferry à destination de Inishmore…
La traversée de la baie fut paisible. Et une fois amarrés à Kilronan, le temps de boulotter un casse-dalle, nous filions (à pied bien sûr) vers les falaises au sud. Qui nous avait prédit quatre saisons par jour doit aimer les euphémismes… La vérité c’est qu’ici la météo bascule d’un moment à l’autre ! Ainsi le ciel ne tarda pas à se noircir, et à nous offrir une averse nous trempant jusque dans les chaussettes. Puis comme si de rien n’était, le soleil opérait un come-back retentissant. Or nous avions prévu les vestes de pluie ; mais pas la crème solaire.
En outre je me figurais bien devoir enjamber quelques murets, pour atteindre la côte. Toutefois j’espérais, arrivés là, que nous pourrions vagabonder tranquillement, loin des chemins balisés que suivent les touristes plus disciplinés. Seulement sur place, nous avons réalisé que ces fameux remparts de pierres sèches rejoignent généralement le précipice. Aussi des heures durant, nous avons autant escaladé que marché, avec le souci, naturellement, de ne pas ébranler ces constructions ancestrales. Heureusement, elles sont d’une surprenante robustesse.
« No hat or cap ? No sun protection ? Well, you live ‘n learn. »
Ce furent les mots de notre hôte du soir en me rencontrant. Dans l’intervalle nous avions rallié « Poll na bPéist » (autrement surnommé « The Wormhole »), par curiosité ; puis « Kilmurvey Beach », par nécessité… De se rafraîchir ! Nous avions aperçu les soldats du feu, appelés à la rescousse ; et (entre autres bestioles) observé les phoques, subi leur râle ingrat. Ah, et j’avais laissé filer un paysan hilare, n’ayant pas saisi s’il se foutait de notre gueule, ou plutôt nous invitait à grimper dans son tracteur. Bref, mon crâne d’œuf avait eu tout le loisir d’attraper de belles couleurs !
Alors que ce bougre de fermier s’éloignait, sur ce chemin peu fréquenté, et avec lui l’espoir une seconde nourri de voir le retour raccourci… Nous nous étions mis à faire du stop. Il faut dire que la route au nord, si elle est évidemment plus praticable, présente moins d’intérêt. Et puis mine de rien nous avions déjà beaucoup déambulé, et surtout sifflé toute notre eau. Par conséquent, a lift n’eut pas été de refus. Néanmoins il me parut culotté de la part de Béné de garder le pouce en l’air, quand nous aperçûmes les pompiers qui revenaient vers leur caserne.
« Excuse me ; this is not a joke… Do you know where we could find some water ? »
Voilà comment elle les aborda, sa gourde vide à la main, lorsque nous les retrouvâmes devant leur QG. A cet instant les mecs étaient littéralement en train de remplir leur cuve… Aussi je m’attendais à ce qu’ils répondent en imitant Khaby Lame ! Bah non. Ils nous invitèrent tout bonnement à chiper une bouteille abandonnée sur la banquette avant, et même à prendre sa place, pour finalement nous déposer (leur service étant terminé) au niveau de Tí Joe Watty. Nous avions justement imaginé débarquer là ; mais clairement pas à bord d’un fourgon pompe-tonne.
Le lendemain nous profitions de la matinée pour monter, non sans croiser les vestiges d’une créature animale, ou encore la dépouille d’un édifice protestant, jusqu’à « Dún Dúchathair » (dit « Black Fort »). C’est qu’il nous restait à admirer, de ce côté, d’autres falaises plus spectaculaires encore. Tandis que l’après-midi nous avions rendez-vous avec celles de Moher, depuis le bateau. Cette fois par contre, disons-le la mer fut houleuse ! Pas au point de nous gâcher la vue depuis l’arrière du bâtiment ; en revanche…
« BEUAAARGH !? »
Ceux restés à l’intérieur jouirent d’une perspective différente, les hublots panoramiques les plaçant aux premières loges des cascades de contenu gastrique en provenance de l’étage supérieur. Miam ! En parlant d’estomac, de retour à terre nous remplissions les nôtres au Blake’s Corner Bar. Puis nous prîmes notre dernière bière à proximité de Eyre Square au Darcy’s, non sans prêter l’oreille à un jeune chanteur accompagné de sa guitare. Et des clients du pub en guise de chœur. Reprendre « Zombie », des Cranberries, méritait bien une telle énergie.
L’heure, fatidique, du retour approchait. Une ultime soirée, c’est ce qu’il nous restait pour nous paumer dans Dublin. Et tomber sur des pigeons que l’on avait fini par croire absents du territoire. Nous en avons pourtant croisés, des volatiles : choucas ; goélands ; hérons ; cormorans… Y compris, de loin sur Inishmore, ce qui pouvait être des guillemots voire des pingouins. Et des corbeaux, partout ! Se disputant les miettes de scones avant que quelqu’un ne les débarrasse. Ceci dit le drôle de piaf que l’on s’attendait le moins à rencontrer, c’est peut-être bien John Harte.
Nous lui devons ce portrait, tiré à « Radharc na mBlascaoidí » (soit « Blasket’s View ») :
« Me too ! »
Pas exactement la réponse à laquelle tu t’attends, quand tu signales à un barman que tu aimerais manger. Perso ça me fit sourire. Autant que me surprit ailleurs le « Hi, guys ! » lancé par de jeunes serveuses, même à des gens d’un certain âge. Une « leek & potato soup » pour elle ; une « shepherd’s pie » pour moi. Voilà ce que nous choisîmes, chez O’Neill’s. Par bonheur nous disposions de guides, un couple d’aminches installé depuis quelques années dans la capitale. Sans eux, dans quelle banale cantine (de cette déjà trop grande ville pour moi) aurions-nous atterri ?
A propos d’atterrir, encore faut-il décoller… Et j’avoue qu’en exploitant principalement des logiciels libres, je ne m’attendais pas à subir de sitôt un foutu bug Microsoft ! Ou CrowdStrike ; peu importe.
A l’inverse, une prouesse dont je me souviendrai c’est le fameux Eircode, ce référentiel postal spécifique à l’Irlande. Pensez donc, ce système (à mes yeux génial) est réputé unique au monde. Concrètement, un code correspond à une cabane, ni plus, ni moins. Par exemple, quand nous voulions prendre nos quartiers à « Port Aran House », il suffisait d’entrer "H91 X5TC" pour toute adresse dans nos GPS ! Espérons que l’astuce nous resserve bientôt ; car il nous reste un paquet de belles choses à voir…
D’ici là, après vous avoir sans vergogne assommés de mots, je me permets de vous balancer plus de deux-cents photos dans la poire.