L’ère des algorithmes.

Il lui fallait de nouvelles photos d’identité, pour se réinscrire à la danse.
Je me souvenais de cette petite adresse, sur Mouscron, où la mairie m’avait envoyé faire les miennes lors de mon arrivée en Belgique…

C’était chez une dame déjà bien âgée, elle nous avait aimablement reçus dans son salon-studio, presque un musée, la pièce ayant probablement peu évolué ces cinquante dernières années.
Je m’étais dit qu’elle s’entendrait probablement bien avec ma grand-mère maternelle ; d’abord parce que tout le monde aime Nonna, et ensuite parce qu’elle partage le même goût en matière de déco.
Bref, on s’était sentis comme chez nous, enfin, comme chez elle, ma grand-mère.

Au moment du cliché, attention !
Le droit à l’erreur n’existait pas, son appareil (probablement amorti dès 84) imprimant directement sur papier glacé l’image capturée, en plusieurs exemplaires au format approprié.
Une expérience, un voyage dans le temps.
Au moment de payer, ce n’était pas donné : huit-dix euros, quelque chose comme ça.
Mais on pressentait que ce fric allait directement servir à acheter des patates, de la Jupiler, et de la pâtée pour le chat.

Du coup aujourd’hui, c’est sans hésiter qu’on y est retourné.
L’enseigne « PHOTO » était toujours là, accrochée à la façade de sa maison.
On a sonné, patienté ; elle est arrivée, apprêtée, son manteau sur le dos, pour sortir j’imagine.
Quand on lui a demandé si on pouvait solliciter ses services à nouveau, elle nous a appris qu’elle avait cessé son activité le 31 décembre dernier.
Alors, déçus pour nous mais contents pour elle, on lui a sincèrement souhaité une bonne retraite.
A son âge, elle ne l’a pas volée !

Parce qu’il fallait bien un plan B, on s’est rabattus sur le Photomaton de la gare de Tourcoing, déserte à cette heure-là.
Une expérience, aussi, une épreuve, même.
Bienvenue dans un univers froid, déshumanisé, où une boite te parle sans que tu puisses lui répondre, où un algorithme te dicte ta conduite, où les consignes doivent être respectées à la lettre si tu veux voir le service délivré.

Au moment fatidique, j’ai sorti une connerie pour la faire marrer.
Elle est toujours plus photogénique, quand elle sourit spontanément, son visage s’illumine, et tant pis si on y voit sa dent pétée par une gamelle à biclou.
Mauvaise idée ; machine pas aimer.
Même un sourire esquissé : refusé.
Au troisième essai, elle faisait la gueule comme si je venais de lui annoncer qu’on déménageait dans une caravane en Roumanie !
Automate ok, imprimer.
Saloperie…
Nous v’là avec cinq beaux clichés d’une tête de mort.
Ca fait peine à voir, mais ceux-là sont conformes, d’après la funeste voix de synthèse qui nous téléguidait.

Robots de merde.
Normes de merde.
Monde de merde.

Anecdote initialement publiée sur Facebook :
https://www.facebook.com/susokary/posts/2517415134936050

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